Critique Off - LA QUESTION : voyage au bout de l’enfer

« Tortures. Le mot est depuis longtemps familier je le sais. Je l’ai vu, je l’ai entendu. Mais qui dira tout le reste ? » Qui dira le corps saisi par les décharges électriques, le sexe brûlé, les membres malmenés, le corps tabassé, asphyxié et pendu ? Henri Alleg, journaliste français et directeur du journal Alger Républicain. Qui déroule par le menu les exactions effroyables commises contre lui par les parachutistes sur ordre de l’Etat. Sur des feuilles de papier toilette détachées, des mots couchés comme un rituel quotidien à partir de son transfert dans une cellule civile, à la prison de Barberousse, après les chambres de torture de la villa Sésini. La première édition de son texte bref, percutant, éprouvant, La question fut achevée d’imprimer le 12 février 1958. Les journaux qui en avaient dit l’importance furent saisis et longtemps ce livre essentiel, « météorite dont l’impact fit tressaillir les consciences », fut censuré par l’Etat français. « Le linge sale voilà l’ennemi » clamait Alleg, disparu voilà tout juste dix ans. Il livre un récit autobiographique, intime, pan d’histoire capitale, porté aujourd’hui au plateau. C’est du théâtre et c’est de l’histoire. Qui dit le courage, la dignité, la peur et malgré tout, les convictions inébranlables. Dirigé par Laurent Meininger, Stanislas Nordey prête sa silhouette sèche, sa voix blanche, tranchante au récit clinique d’Alleg. Sur un plateau nu, seulement habillé de rideaux de fil qui s’animent ou restent immobiles, avec un écran blanc qui ondule au rythme de la mémoire, jamais la voix ne vacille, jamais l’émotion ne perce sur son visage. Et le choc n’en est que plus grand.

Nedjma Van Egmond

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