Critique IN - Ma jeunesse exaltée, les exaltants adieux de Py
 

« Je vous préviens, ce sera long et verbeux… » Ainsi Arlequin, figure centrale de « Ma jeunesse exaltée » présente-t-il le texte qu’il vient d’écrire, qui porte précisément ce titre, à ses compagnons de route. Clin d’œil amusé et façon pour l’auteur-même, Olivier Py, de prévenir toutes les critiques qui lui pendent au nez, et qu’on lui a souvent faites, parfois à raison. Long, oui, bien sûr, « Ma jeunesse exaltée », l’est. Dix heures avec entractes, en quatre parties. De ces marathons qu’Avignon affectionne. Tout comme « Le Mahabharata » de Peter Brook, « Le soulier de satin » de Claudel, spectacles mythiques ou, plus près de nous, les œuvres de Julien Gosselin ou Wajdi Mouawad. Tout comme, surtout, « La servante », grand œuvre du même Py qui, ici-même, avait enflammé le public du même Gymnase Aubanel sept jours durant, voilà 27 ans. De ces grandes épopées dramatiques qui charrient, avec elles, leur lot de larmes, de rires, de poésie, de trop plein ou d’hystérie parfois, mais comment pourrait-on en vouloir vraiment à ceux qui les orchestrent…
« Ma jeunesse exaltée » donc, c’est l’hommage rendu par Py à lui-même, à sa jeunesse envolée, mais aussi, et surtout, à la force de la poésie et du théâtre dans un monde obscur. Il y dit la rencontre éperdue entre Arlequin, jeune livreur de pizzas, orphelin misérable au costume bariolé et Alcandre un vieux poète oublié. Et met beaucoup de lui, autant dans l’un que dans l’autre : le jeune homme virevoltant soucieux d’aimer et de dévorer le monde et le créateur revenu de tout. Pour la jeunesse et la fougue, pour la quête d’espérance et de joie inlassables, pour le regard féroce aussi mais jamais dépourvu d’humour sur la culture et ce qu’elle est devenue, verrouillée entre les forces conjointes de la politique, de la communication et du grand capital, rien moins que la forme moderne du cannibalisme (au sens propre). On retrouve tout au long de cette époustouflante traversée théâtrale nombre de figures familières -et aimées du théâtre de Py-, qui lui permettent à la fois de déclarer sa flamme et de régler quelques comptes : la tragédienne, le poète, l’acteur, l’homme politique, l’ecclesiaste. Il embrasse, aussi, les thèmes qui lui tiennent à cœur, les conflits de génération, la poésie et la politique, la religion, l’amour et la mort, le sexe.
« Ma jeunesse exaltée » convoque tous les registres, lyrique et politique, tragique et comique, interroge avec vie et vigueur le rôle de l’art et du théâtre, « forme festive de l’espérance » à un train d’enfer. Et toujours Arlequin, devenue figure de référence de la jeunesse, reste fidèle à sa devise « Castigat ridendo mores », tentant avec sa troupe de lutter contre la démission spirituelle. Comment ? A coup de grands canulars : un faux manuscrit de Rimbaud vendu à prix d’or, de fausses morts et de vraies résurrections… Il y aura une descente aux enfers, des manipulations en cascade et des tournées théâtrales, des fessées et des chansons, des scènes de déféquation et de masturbation (plutôt hilarantes) ; on y croisera Shakespeare et Platon, des ministres de la culture cyniques et des grands patrons. Tous les épisodes du feuilleton s’enchaînent à un rythme endiablé, dans une scénographie mobile et superbe (comme toujours signée de Pierre-André Weitz)
A l’avant de la scène, en lettres au néon, la phrase « Quelque chose vient ». « Quelque chose vient ! Quelque chose vient toujours. Et si rien ne venait ? » Oui quelque chose est venu, advenu, qui clôt de façon superbe les dix années de direction du festival d’Avignon de Py en se retournant avec tendresse et mélancolie sur ses jeunes années. Et c’est émouvant de retrouver le jeune homme exalté, qu’on avait perdu au fil de pièces nettement moins réussies (de Lear aux Parisiens). Sa musique, sa verve et sa foi, son verbe et sa joie, ses acteurs étourdissants aussi, sans lesquels cette épopée ne serait rien. Alors citons les tous, Olivier Balazuc, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Pauline Deshons, Emilien Diard-Detoeuf, Geert Van Herwijnen, Julien Jolly, Flannan Obé, Eva Rami, Antoni Sykopoulos. Et bien sûr, Xavier Gallais et Bertrand de Roffignac. Le premier, déchirant en vieil homme qui revit au contact de l’amour. Le second, présent de bout en bout. Sautillant, bondissant, tragique ou désopilant, désarmant de tendresse ou revigorant de détermination enflammée, représentation d’une forme de jeunesse éternelle, Bertrand de Roffignac éblouit de bout en bout. Il est la vie. Il est le théâtre.

Nedjma Van Egmond


Ma jeunesse exaltée, jusqu’au 15 juillet, Gymnase Aubanel. 


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