IN - Interview exclusive : Krzysztof Warlikowski met en scène Elizabeth Costello - (28/06/24)

Krzysztof Warlikowski crée l’évènement de cette édition d'Avignon en présentant Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes moraux dans la Cour d’Honneur. Elizabeth Costello, romancière fictive qui dérape régulièrement lors de ses prises de parole, est l’alter-ego de l’auteur sud-africain J. M. Coetze. Le metteur en scène polonais, fasciné par ce personnage scandaleux, a déjà accueilli Elizabeth Costello dans ses précédents spectacles. Elle en est ici la figure centrale, qui nous poussera sortir de notre zone de confort moral. 



Comment avez-vous adapté le roman de J.M. Coetzee ? Etes-vous resté fidèle à sa structure, aux thématiques abordées ? 
Krzysztof Warlikowski : Il est difficile de parler d'adaptation dans le cas de mon travail. Ce mot ne saisit pas l’essentiel de ce que je fais. Je préfère dire que je m'installe dans des textes qui me servent de base pour un projet. Dans le cas d'"Elizabeth Costello", une difficulté supplémentaire résidait dans le fait que certains textes, par exemple une conférence dans laquelle l'abattage d'animaux est comparé à l'Holocauste, avaient été utilisés dans des spectacles précédents. J'ai commencé à travailler en toute liberté avec l'auteur que j'apprécie énormément, mais en m’imposant certaines limites. Je suis resté fidèle au sens profond de sa prose, j'ai utilisé tous les textes dans lesquels Costello apparaît, ainsi que les conférences de Coetzee disponibles en ligne. Et puis, j’ai créé une structure, qui est une sorte de lecture et de philosophie partagées, qui incluait Costello - un écrivain de fiction, Coetzee - son auteur, et moi, utilisant ces avatars.
 
Qu’est-ce qui vous fascine dans ce personnage fictif d’Elizabeth Costello ?
Costello, même s’il s’agit d’un personnage fictif, est tout à fait réelle pour moi. Cela n’est pas seulement dû à l’incarnation que le théâtre permet ; elle incarne ce que j’appellerais le besoin de scandale. C'est une grande provocatrice, mais elle ne provoque pas par méchanceté, juste pour se faire entendre. Et elle paie pour cela un prix personnel élevé : elle entretient de mauvaises relations avec ses enfants, avec qui elle ne passait pas de temps quand ils étaient petits. Elle se heurte au rejet ou à la pitié méprisante. Personne n'a peur d'une vieille femme. Mais dans cette faiblesse, elle est très forte, toujours prête à agir même au-delà de ses propres forces.
 
Comment s’incarne-t-elle sur scène ?
Elle est jouée par cinq actrices et un acteur. Cette multiplication des voix renforce Costello, mais la rapproche également du public. Tout le monde peut se permettre un comportement et une réflexion aussi courageux, mais peu de gens ont le courage de le faire. Vous devez également être capable d’accepter vos propres doutes. Une caractéristique d’une intelligence brillante est la remise en question constante de ses propres pensées et opinions. C'est ce qui différencie un provocateur d’une personne juste têtue.
 
L’artiste doit-il nécessairement passer par un avatar pour garder sa parole libre ?
La condition de l'artiste est aujourd'hui difficile. Nous sommes tenus de commenter le monde, mais le public attend des commentaires cohérents avec les tendances et interprétations actuelles. Si vous ne vous conformez pas, vous serez supprimé. Toutefois, cela ne signifie pas que l’artiste doive utiliser des avatars. Coetzee pourrait aussi dire ce qu'il veut, en utilisant l'autorité d'un prix Nobel. Et personne n’est assez naïf pour croire que ce que dit Costello ne correspond pas aux pensées de Coetzee. Mais cette brillante invention littéraire de sa part œuvre mieux sur notre imagination. Coetzee incarne avec brio cette femme tiraillée entre ce qu’elle subit d'exclusion et de mépris et son autorité d'écrivaine célèbre. L’autre avantage de recourir à ce personnage, c’est que les artistes agissent sur l’empathie, qui peut être bien plus efficace que les actions politiques ou les arguments philosophiques.
 
Costello, telle une Cassandre, énonce des vérités dérangeantes et profondes sur la nature humaine et l’avenir de l’Humanité. A-t-elle une chance d’être écoutée dans notre société actuelle ?

Costello dit des choses qui semblent incroyablement naïves. Comment devrions-nous répondre à son appel à ouvrir nos cœurs ? Qui utilise de tels arguments dans le discours aujourd’hui ? Mais ce sont peut-être justement ces arguments profondément humains et non spéculatifs qui pourront nous sauver…  Après tout, nous savons tous ce que nous faisons de mal et sommes conscients des terribles conséquences de notre indifférence. Jouer le jeu du politiquement correct ne marche pas. Nos cœurs restent fermés.
 
Comment cela va-t-il se présenter sur scène ?
Ce spectacle est un voyage à travers la vie d'Elizabeth Costello. Nous la voyons à différents moments de sa vie, à différents âges, et nous observons comment des sujets particuliers interagissent sur ses luttes avec la réalité. En écoutant Costello, nous avons une merveilleuse occasion d’ouvrir nos cœurs. Alors faisons confiance à l'art et aux artistes.

Propos recueillis par Hélène Chevrier et Aymeric Prévot-Leygonie 


Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux d’après l’oeuvre de J. M. Coetzee
Mise en scène Krzysztof Warlikowski. 16 17, 19, 20, 21 juillet à 22h. Cour d'Honneur du Palais des Papes. 84000 Avignon 


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