Old times - Adèle Haenel, le fantôme du passé - (25/04/16)

C’est un peu l’égérie du nouveau cinéma d’auteur et du théâtre punk comme elle l’appelle. Mais Adèle Haenel, auréolée d’un César de la meilleure actrice en 2015, ne se contente pas de traîner ses guêtres où on l’attend. La jeune actrice suit son instinct et s’essaye dans les projets qui font écho à la vie et particulièrement à sa vie à elle. Comme ce Old Times de Pinter visible en ce moment au théâtre de l’Atelier, dans lequel elle joue un personnage énigmatique qui fait face à Marianne Denicourt et Emmanuel Salinger. Anna, l’unique amie de Kate, ressurgit dans sa vie vingt ans plus tard, sans crier gare, pour rappeler leur jeunesse à Deeley, le mari de Kate. Si pour le spectateur, sa présence entretient un mystère tout au long de la pièce, pour l’actrice la situation qu’elle joue est claire…

Comment vous êtes-vous retrouvée dans ce Old Times de Pinter ?
J’ai rencontré Benoît Giros et Emmanuel Salinger en jouant La Mouette mise en scène par Arthur Nauzyciel et on avait envie de faire un projet ensemble. Quand Benoît est venu avec cette pièce, on a réalisé que c’était celle qui nous évoquait le plus de choses à tous les trois.

Dedans, vous jouez Anna, l’amie de jeunesse de Kate. C’est un personnage qui suscite plein de questions. Déjà, on se demande si elle existe vraiment…
C'est l'histoire d'un couple qui mène une vie une vie maîtrisée, avec un récit cohérent. Ils sont heureux comme ça. Deeley voit sa femme d’une certaine façon. Et moi je joue le souvenir qui vient lui rappeler que d’autres choses ont eu lieu avant et ça met en perspective tout ce qui manque aujourd’hui. Peu importe que mon personnage soit une amie de Kate ou Kate elle-même vingt ans plus tôt. `

Avez-vous tranché ?
Je pense que c’est Kate. C'est comme si le mari revoyait la femme dont il était tombé amoureux et que mon personnage voyait ce que j'allais devenir. Venir du passé pour dire que ce qui a existé était important montre aussi qu’il y a un truc un peu sauvable dans le présent ; c'est une façon de conjurer la peur de la vie et le manque de sens. Anna, c'est plus une mission qu'un personnage. 

Est-elle très différente de ce que Kate est devenue ?
Kate n’est plus comme à l’époque de l’exubérance de ses vingt ans, elle est davantage dans le compromis, parce qu’elle a l’air absente et le mari a fini par croire à cette légende. Or moi, je pense qu'elle a une rêverie très singulière qui témoigne du fait qu'elle est vraiment vivante. 

Quelle est la place du mari dans ce trio ?
La pièce s’adresse à lui. Il doit accepter d’avoir une vision différente de sa femme qui brise la logique de leur couple. C'est comme une espèce de deuil de sa propre vie au sein de sa propre vie. Et en même temps, c’est l’arrêt de la mort. 

Est-ce difficile à jouer ?
Oui mais j’en suis hyper contente. Ça me permet de chercher pour moi, pour ma vie, pour mon propre rapport aux choses. Finalement je ne vous réponds pas tant pour vous enseigner des choses à vous, que pour chercher à progresser moi-même ! 

Cela vous fait avancer ?
Oui, la rencontre avec des scénarii et surtout des textes de théâtre a changé ma vie. Au cinéma, c’est surtout important de vivre le moment présent ; on a une familiarité, qui va au-delà de l'idée, et qui est due à un climat. Ça crée des solidarités de fous.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

Old times, de Harold Pinter, mise en scène Benoît Giros, avec Marianne Denicourt, Adèle Haenel et Emmanuel Salinger. Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin 75018 Paris, 01 46 06 49 24, jusqu’au 12/06