Critique Off. Ressources humaines - Lutte des classes

Nappe rustique, intérieur modeste. Le fils et son père sont assis à une table. Le premier est stagiaire au service ressources humaines d’une grande entreprise, dont le second est ouvrier à la chaîne. Evoquant un possible changement d’organisation et de rythme dans le cadre du passage aux 35 heures, le jeune homme dit à l’ancien, sollicitant son avis : "C’est bien de ne pas toujours faire la même chose, c’est moins monotone, non ?", il s’entend répondre : "Moi j’aime bien toujours faire la même chose. De toute façon je ne sais pas ce qui est bien". Tout le cœur de la pièce est contenu dans cet échange poignant, montrant le gouffre entre générations, entre milieux. Si fort est le décalage entre celui qui est parti, faire des études de commerce en quête de réussite à Paris, et l’autre, qui est resté. Entre le fils pris dans un conflit de loyauté entre son employeur et son père qui s’apprête à rester sur le carreau. Empruntant sa trame au film Ressources humaines de Laurent Cantet (précisément sorti en pleine réforme des 35 heures en 2000), Elise Noiraud signe un spectacle tout feu tout flamme mené pied au plancher. Plateau nu, seulement quelques tables, quelques chaises déplacées à vue par les comédiens pour figurer tour à tour l’usine, les bureaux, le foyer familial, la voiture du patron ou la discothèque où Franck l’enfant du pays appelé à de hautes fonctions revient retrouver ses copains d’enfance. La plupart des acteurs passent d’un rôle à l’autre allègrement (mention spéciale à Julie Deyre, qui incarne tour à tour la meneuse syndicaliste chauffée à blanc et la mère de famille réservée) pour dire, avec empathie, l’écartèlement entre l’aspiration à la réussite individuelle d’un transfuge de classe et les combats collectifs. Jusqu’à un grand élan libérateur où les feuilles de papier s’envolent par dizaines au son des Mains d’or de Bernard Lavilliers. C’est très fort.

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