Cyrano : la tirade des "non merci" revue par Philippe Torreton - (30/04/20)
Philippe Torreton qui fait actuellement la une du nouveau numéro de Théâtral magazine sur le confinement a joué un inoubliable Cyrano mis en scène par Dominique Pitoiset.
Confiné comme tout le monde en ce moment, l'épidémie lui a inspiré une nouvelle version de la tirade des "Non merci" :
"Et que faudrait-il faire ?
Chercher un professeur puissant, prendre un patron ?
Et comme un de ces adeptes de théories à la con
Qui s’en fait des raisons et camelotes à vendre
Chercher partout le pire au lieu de s’élever à comprendre ?
Non merci. Dédier comme tous ils le font,
Du crédit aux fake news ? Se changer en couillon ?
Et surgonfler les rangs de ces troupeaux bêlants
Qui pensent comme on crache et parlent en vomissant ?
Non merci. Déjeuner chaque jour de rumeurs ?
Avoir la pensée rongée par le fiel ? Un cœur
Qui plus vite à l’aune de la bonté devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse morale ?
Non merci ! D’une main flatter le peuple au licol
Cependant que de l’autre on arrose des pactoles ?
Et donneur de leçon par désir d’exister
Ne s’appliquer à soi ce qu’à d’autres on soumet ?
Non merci ! Se pousser de caddies en caddies
Devenir un "Janvier" au coffre bien garni
Et laisser pour les autres rien que des rayons vides
En râlant aux caissières ta hargne plein de covid ?
Non merci ! Chez le bon épicier du quartier
Coller dans la file aux basques des gens ? Non merci !
S’aller faire un footing dans les rues de Paris
Alors que d’ordinaire on reste dans son lit ?
Non merci ! Travailler à faire moult pressions
Pour dissuader l’infirmière de rentrer ? Non
Merci ! Ne rien chercher à comprendre ni voir
Prendre pour argent comptant tout ce qui tombe des comptoirs
Et se dire sans cesse : "si ça ne tenait qu’à moi
Je pass’rai par les armes tous ces foutus chinois !"
Non merci ! Dénoncer critiquer à la pelle
Préférer la télé que prendre des nouvelles
Relayer la laideur de l’inhumanité ?
Non merci non merci non merci ! Mais chanter
Même sous un masque, se tenir à distance,
Mais sans repli sur soi, apprendre la patience,
Réfléchir à sa vie, faire le tri des vieilles choses
Séparer le bon grain de l’ivraie qui sclérose.
Lire, apprendre par cœur, découvrir d’autres mondes
Réfléchir à demain, semer l’idée féconde
D’un meilleur avenir, loin des bruyantes sirènes
De ce monde marchand qui se trouve bien en peine
De nous fournir en masques et vaccins à la chaîne
Qui fait mourir ses vieux et crève ses infirmières
Pour des bouts de chandelles et salaires de misères !
Réfléchir au futur, à notre mère nature,
Et laisser de quoi vivre à nos progénitures.
Et puis, en attendant ce monde moins injuste
A défaut d’Hyppocrate essayons d’être juste:
Célébrons tous les soirs, le personnel soignant
À s’en rompre les mains et déchirer nos gants.
Bref dédaignant profits et petits esprits veules
Monter enfin très haut et surtout pas tout seul...
Mercyrano !
Philippe Torreton"