Claude Régy est mort - (27/12/19) 

La mort de Claude Régy survenue dans la nuit du 25 au 26 décembre, on s’y attendait après qu’il ait annoncé qu’il mettait en scène sa dernière pièce avec Rêve et Folie de Georg Trakl qu’il a créée en septembre 2016 aux Amandiers de Nanterre. Et pourtant, cet homme semblait immortel. Certainement que son grand âge (il était né en 1923) entretenait cette image, mais il y avait aussi chez Claude Régy une dimension infaillible. C’était un chercheur, qui sans cesse s’interrogeait sur ce qui nous semble à nous invisible, étirant le temps à l’infini pour zoomer sur les cases vides entre deux secondes ou entre deux paroles. C’était cela qu’il cherchait, déchiffrer les inscriptions secrètes du vide, de l’inconnu, de l’innommé, de l’invisible. Il allait puiser chez des auteurs inconnus, et pas forcément des auteurs dramatiques. Parfois, il en montait toute l’œuvre, parfois juste une séquence ou un assemblage de séquences, pour expérimenter grandeur nature une idée. Il allait aussi beaucoup puiser chez les scientifiques pour alimenter sa recherche, notamment dans la physique quantique mais aussi dans l’étude des trous noirs. On pourrait dire que pour Claude Régy le théâtre était un laboratoire. En fait, il était beaucoup plus que cela ; il en faisait une sorte de quatrième dimension où le spectateur était pris comme dans une matrice qui modifiait tout son état. Parce qu’il faut dire aussi qu’il y avait quelque chose d’éprouvant à subir ce ralentissement, presque cet arrêt du temps, comme une sorte d’apnée interminable au bord du malaise, ou d’une jouissance intellectuelle quand tout à coup on arrivait à entrer en symbiose avec cette quête. 
Claude Régy a beaucoup apporté au théâtre. Par cette quête justement mais aussi par tous les artistes qu’il a mis en lumière d’une certaine façon, à commencer par Marguerite Duras dont il a monté Les viaducs de la Seine et Oise d’abord en 1960 puis de nouveau en 1967 dans une autre version (L’amante anglaise), Gérard Depardieu qu’il a dirigé dans six pièces dont La chevauchée sur le Lac de Constance d’un certain Peter Handke. Il a aussi dirigé des comédiennes divines comme Delphine Seyrig ou Isabelle Huppert dans le saisissant 4 :42 psychose de Sarah Kane. Ces dernières années, il cherchait surtout à travailler avec des comédiens tout juste formés, encore parfaitement malléables. Sans doute cherchait-il à créer une étincelle entre des matières totalement pures. Faire naître quelque chose. Mais Claude Régy est mort et cette chose n’aura pas lieu…

Hélène Chevrier


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