Jean-Marc Dumontet rachète deux nouveaux théâtres à Paris - (16/11/17)

La nouvelle est tombée hier. Le producteur et directeur de théâtre Jean-Marc Dumontet vient d’augmenter son parc avec l’acquisition de deux nouvelles salles à Paris et pas des moindres : Le Comedia situé à deux pas et demi du théâtre Antoine qu’il co-dirige avec Laurent Ruquier. Ex-Eldorado, le Comedia a eu beaucoup de mal ces dernières années à retrouver un second souffle. Habituellement, on y voit des comédies musicales (en ce moment Welcome to Woodstock). Complètement refaite, la salle offre une excellente visibilité où que l’on se trouve. L’autre acquisition, c’est le Sentier des Halles, au cœur de Paris (dans le 2e arrondissement), vivier de jeunes humoristes, la spécialité de Jean-Marc Dumontet producteur déjà d’artistes tels que Nicolas Canteloup, Alex Lutz mais aussi de gens moins connus que l’on peut découvrir au Point Virgule, au Grand Point Virgule ou à Bobino, les autres salles qu’il possède.

Théâtral magazine : Vous venez de faire l'acquisition de deux nouvelles salles, le Sentier des Halles et le Comedia. Pourquoi acheter deux nouvelles salles quand vous en avez déjà quatre ?
Jean-Marc Dumontet :
Parce qu’avoir des salles, c'est s'obliger à trouver du contenu. Et c'est ça qui m'enthousiasme. Et puis, quand on est propriétaire d’un théâtre, c'est beaucoup plus facile de monter des spectacles. 

Mais avec les quatre que vous avez, il y a déjà de quoi faire…
Oui mais les salles se programment à l'avance. Or j'ai plein de projets que je ne peux pas faire faute de créneaux disponibles.

Des projets que vous ne pouvez pas faire, comme par exemple ?
Des comédies musicales que j'ai en tête mais que je ne peux pas lancer aujourd'hui. La salle de Bobino s'y prêterait, parce qu’on y programme du music-hall, du cirque, de la danse, du hip-hop, des spectacles musicaux…, mais la saison prochaine est déjà bouclée et la suivante en cours. Donc, ça ne laisse pas beaucoup de places. Le Comedia, c'est justement une salle qui par le passé a accueilli beaucoup de pièces, comme Good Canary mise en scène par John Malkovich et des comédies musicales comme Un violon sur le toit. 

Depuis que Maurice Molina, l’ancien propriétaire, l’a vendu en 2011, le Comedia n'a pas vraiment retrouvé d'identité. Comment allez-vous vous y prendre pour le remettre à flots ?
Les trois salles que j'ai reprises (Antoine, Point Virgule et Bobino) et la quatrième que j'ai créée (le Grand Point Virgule) étaient en grandes difficultés. Le Point Virgule était en dépôt de bilan, le théâtre Antoine était en cessation des paiements et à Bobino, Gérard Louvin avait un projet plein d’enthousiasme mais sans doute un peu disproportionné. Mais je ne suis pas là pour distribuer des mauvais points. Il a fallu simplement réinventer–imaginer. C’est un pari évidemment. Mais je fais un métier de paris. 

N'avez-vous pas un peu d'appréhension à l'idée de reprendre une salle de 900 places ?
Je n'ai aucune appréhension sinon je ne l'aurais pas fait. Je ne vous dis pas que cela va être simple et que je pense réussir mais je vais tout faire pour. Je crois d'abord qu’il faut incarner ce lieu. Une salle, ce sont des hommes identifiés dans notre métier… Quand les spectateurs vont au théâtre Edouard VII, ils savent qu'ils vont chez Bernard Murat, parce qu’il y a une ligne directrice, une connaissance du métier, et donc une confiance qui s'installe entre le théâtre et les spectateurs. Au Palais-Royal aussi. Et c’est intéressant parce que Sébastien Azzopardi a repris le théâtre après son père et le codirige avec Francis Nani. Et il le fait avec sa jeunesse, sa sensibilité. J’ai trouvé formidable qu’il y crée La Dame blanche et ensuite Edmond qui sont des projets très novateurs ; c’est une nouvelle façon de faire du théâtre, d’attirer du public. La nouvelle génération qu’il représente incarne ça. Nous aussi au Comedia, on doit incarner le lieu, lui donner de l'effervescence.

Qu’allez-vous faire de la petite salle du bas ? Un espace pour des projets expérimentaux ? 
Le plateau ne s'y prête pas. En revanche, j'ai plein d'idées en marge du théâtre, comme des ateliers d'écriture, une école d'auteurs, plein de choses autour du théâtre. C'est un outil supplémentaire. Je vais rentrer en janvier dans cette salle et pendant six mois je vais apprendre à la découvrir. Ensuite, j’aurais peut-être des certitudes sur une ligne éditoriale à tenir. Quand j'ai racheté Bobino, j'avais des appréhensions parce que la marque était fatiguée et je ne savais pas où on allait. Là je suis confiant. Peut-être aussi parce qu’avec mon équipe, on voit beaucoup de spectacles (moi tout seul, j'en vois 200 par an) et cela nous permet de trouver des projets précisément adaptés aux salles que nous avons. 

En matière de comédie musicale, puisque c’est un peu la coloration que vous voulez donner au Comedia, ne pensez-vous pas que le genre peine à trouver ses marques en France ?
Non. Regardez l’exemple de Mogador.

Cela marche mais avec des comédies musicales très connotées Broadway comme Grease à l’affiche en ce moment. Ce sont plus des franchises que des spectacles typiquement français.
Qu'importe. Ça fait des années maintenant qu’on y voit des comédies musicales qui ont quand même un certain succès. La clé de la réussite c’est d’avoir le meilleur spectacle, la meilleure équipe possible et ne pas négliger l'aspect commercialisation, marketing et communication. Et Mogador en illustre très bien l'exemple. Par contre, on constate que d’autres projets plus bricolés marchent moins...
Vous avez néanmoins plus une image de découvreur de talents que de diffuseur de spectacles.
J'ai toutes les images. Les Chatouilles, c’est un spectacle que j’ai sorti d’Avignon et auquel j'ai donné ensuite beaucoup d'éclairage. Je ne l’ai pas découvert. Mais cela fait partie de mon métier. J’ai adoré il y a vingt ans un spectacle avec Savion Glover qui s’appelait Bring in 'da Noise, Bring in 'da Funk qui est le roi de la tap dance aux USA. Eh bien, Savion Glover, qui est passé plusieurs fois au Théâtre de la Ville, n’a pas besoin de moi pour exister sauf peut-être pour faire une carrière française. Mais j’espère qu'un jour je l'aurais dans un de mes théâtres. J’ai vu aussi plusieurs fois aux Etats-Unis et à Londres, Annie, une comédie musicale extraordinaire qui n’a jamais été jouée en France. Mais je ne pouvais pas la monter dans mes salles. C’est pour ça qu’à un moment donné  je me suis intéressé à la salle Pleyel. Je n’ai pas pu la racheter mais je suis resté en alerte.  Il ne s’agit pas de faire un Monopoly des salles. Mais il y a vraiment de bons spectacles à faire connaître et j’ai des idées de spectacles originaux à créer. 

Le Sentier des Halles est une petite salle qui marche bien. Qu’allez-vous en faire ?
Oui elle marche bien et c’est un bon complément du Point Virgule où on est assez large dans la gamme d'humour qu'on propose, avec des spectacles à sketches, ou avec personnages, du stand-up. Le Sentier des Halles propose beaucoup de stand-up et de projets musicaux. J'ai envie de garder ces deux colorations.

Cela implique de trouver des artistes…
On en trouve surtout pour des salles de 100 places comme celles du Point Virgule ou du Sentier des Halles. Antoinette Colin, la directrice artistique du Point Virgule m’a organisé lundi dernier des auditions au cours desquelles j’ai vu 12 artistes et sur les 12 il y en avait 4 ou 5 prometteurs. C’est après que ça se complique quand on veut les faire monter en gamme et les produire dans des plus grandes salles.

Avec six salles privées, est-ce possible de renvoyer les spectateurs de l’une à l’autre sachant que le coût d’une place dans le théâtre privé est très élevé ? 
Je pense que ce n'est pas un problème de prix des places mais d'intérêt. La question, c’est est-ce qu'on crée des spectacles qui suscitent un intérêt pour les spectateurs ? Moi je crois qu’ils sont prêts à payer des billets plus chers si les spectacles sont à la hauteur.

Les spectacles à la hauteur peuvent aussi venir du théâtre public comme c’est le cas au théâtre Dejazet, qui reprend des spectacles créés dans le public comme Und avec Natalie Dessay et leur donne une visibilité à Paris…
C'est une nécessité parce qu'il y a beaucoup de créations dans le secteur public de grande qualité et qui malheureusement ont une période d'exploitation trop courte. Ce que fait Jean Bouquin au Dejazet est très courageux mais aussi très risqué parce qu'on ne va pas chercher les spectateurs du public dans les mêmes réseaux que ceux du privé. Je suis le premier convaincu de la nécessité des passerelles entre le public et le privé ; j’ai quand même accueilli la Comédie-Française au théâtre Antoine l’année dernière, avec Les enfants du silence. Et quand j'ai repris la cérémonie des Molières, c'était aussi dans cet esprit, et pour permettre aux artistes des deux univers de se croiser. 
Après, les spectateurs se moquent complètement de ces différences. La seule question qu’ils se posent, c'est de savoir s’ils vont voir un bon spectacle ou pas.

Parmi les passerelles à faire entre le public et le privé, l’idée de prélever un impôt sur la billetterie des théâtres publics pour le redistribuer aux théâtres privés vous semble-t-elle aussi pertinente ?
Je n'y adhère pas. Je ne vois pas pourquoi on demanderait une dîme au théâtre public. Si les théâtres privés ont des demandes, qu'ils les formulent au ministère. La ligue nationale de rugby ne va pas demander de l'argent à la ligue nationale de football. Non ! En plus c'est un facteur d'incompréhension, de désunion, de polémique entre nous. C'est totalement stérile.

Les théâtres privés souffrent régulièrement de la crise. Ces dernières années, beaucoup ont été « sauvés » par des grands groupes qui les ont rachetés. Mais vous dites pourtant dans une interview parue dans le Figaro d’hier que ces groupes pourraient revendre leurs théâtres dans quelque temps. Qu’est-ce qui vous fait dire cela alors que ces théâtres marchent plutôt bien ?
Si ça ne marchait pas trop mal, je n'aurais pas racheté le Comedia. Mais la vraie difficulté c’est par rapport au fonds de soutien (le fonds de soutien des théâtres privés qui aide, entre autres, les théâtres à faire face aux difficultés quand un spectacle ne marche pas, ndlr).

C'est-à-dire ?
Le fonds de soutien va très mal. Or, est-ce que ces groupes ont besoin de faire appel au fonds de soutien ?

Stéphanie Bataille vient de quitter la direction du théâtre Antoine. Elle va être remplacée ?
C'est très difficile de remplacer Stéphanie Bataille. Elle avait embrassé l’aventure du théâtre Antoine avec une passion incroyable, un souci de perfection absolue tel qu’au bout d'un moment, 24 heures ne lui suffisaient plus. Mais on ne remplace pas Stéphanie. Du coup, les choses se réorganiseront différemment. Surtout avec deux nouveaux lieux, il y a des nouvelles personnes qui sont rentrées pour pouvoir peut-être gérer différemment. Jusqu’à présent, chaque directeur gérait son lieu tout en allant voir des spectacles partout dans le monde. Mais si on est tout le temps dehors, on ne peut plus diriger correctement. Donc, pour les alléger, il faudrait quelqu’un complètement dédié à la recherche de spectacles. 

En janvier, vous présentez la reprise de Art de Yasmina Reza au théâtre Antoine, avec Charles Berling. Pour vous, de quoi parle la pièce ?
De tout notre rapport avec le paraître dans la société, de l'amitié, des relations humaines et parfois de la superficialité. Est-ce qu'on accepte ses amis tels qu'ils sont ou seulement lorsqu’ils correspondent à ce qu’on attend d’eux ? 

Propos recueillis par Hélène Chevrier



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